28/02/2023

Comment la Creuse compte éloigner définitivement le spectre des pénuries d'eau au robinet
 
Publié le 08/02/2023

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En Creuse, 70 opérateurs gèrent l’eau potable. Trop dispersés pour mobiliser les gros investissements que nécessite le réseau pour trouver de nouvelles ressources et être interconnecté afin de faire face aux pénuries. Pour unir tout le monde, un syndicat “supra" vient d'être créé.

Les pénuries d’eau.

D’exceptionnelles, elles sont devenues la règle en Creuse ces cinq dernières années. Et ça ne va pas s’améliorer.
Dès maintenant, la veille est assurée. Au 31 décembre, les arrêtés de restriction ont été levés, mais « le niveau des réserves reste préoccupant, prévient la préfète Virginie Darpheuille. Il a beaucoup plu en janvier, plus que d’habitude. Sauf qu’il y a eu un automne plus sec que d’habitude aussi ».

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Ainsi, si les cours d’eau sont pleins, la recharge des eaux souterraines n’est pas assurée. 

« Les sols ayant été très, très secs, l’eau met plus de temps à passer aux couches de recharge, reprend celle qui préside le Comité eau du département. On a deux mois devant nous pour voir si ces réserves se referont » VIRGINIE DARPHEUILLE (préfète de la Creuse )

Des rivières et des captages qui fournissent l’essentiel de l’eau qui coule à nos robinets dans une Creuse presque totalement dépourvue de nappes phréatiques.
À cette ressource limitée, la Creuse doit ajouter des infrastructures inadaptées. Pas assez d’interconnexions pour qu’un secteur à sec soit dépanné par d’autres. Des usines de traitement dépassées, des captages insuffisants…

Une eau creusoise pulvérisée  entre 70 opérateurs.
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Un manque d’investissement issu, notamment, de l’atomisation de la gestion de l’eau en Creuse répartie entre 70 opérateurs, les UGE pour Unité de gestion de l’eau : soit 22 syndicats intercommunaux (les SIAEP), 47 communes et l’Agglo du Grand-Guéret… qui gèrent en régie ou délèguent au privé.


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Elles desservent une seule commune ou des dizaines, investissent beaucoup ou pas du tout. Aucune n’a la compétence pour interconnecter tous les réseaux et peu ont la capacité de mobiliser de gros investissements.
En 2020, le Département a élaboré un schéma d’alimentation en eau potable avec la solution au bout : créer un syndicat départemental. Objectif : sécuriser l’approvisionnement en eau de la Creuse, tant en quantité qu’en qualité.
Cependant, l’ambition n’est pas que ce syndicat recouvre toute la compétence, de la source au robinet. Mais qu’il lance les chantiers les plus lourds et en assure la gestion : les fameuses interconnexions, la recherche de nouvelles ressources, les usines d’eau à réparer ou remplacer… Les UGE conservant les compétences sur leurs réseaux et services. En gros, au syndicat les gros tuyaux, aux UGE les plus petits.
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Une solution espérée aussi par les financeurs, l’Agence Loire-Bretagne en tête. Elle veut, dans les territoires, de grosses structures aptes à mener de gros travaux à qui attribuer de grosses subventions. Pour l’Agence, financer les petits UGE n’est plus pertinent. Au point qu’elle a bloqué des financements en attendant de voir émerger cet interlocuteur de poids en Creuse.
La solution, donc. Ce syndicat départemental proposé par le Département… mais qu’il ne peut créer car il n’en a pas la compétence.
La proposition date de 2020 et après… ? Rien. Covid, confinement, puis les sécheresses qui ont finalement remis le sujet à l’agenda. La préfète qui réveille tout le monde et, enfin, un premier projet : celui d’André Mavigner, en avril 2022, maire de Bénévent et surtout président du SDEC qui propose assez simplement d’élargir à l’eau les compétences de son syndicat des énergies.

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Puis un second dévoilé en 2022 et porté, lui, par les six plus grosses UGE du Département : les syndicats de la région de Boussac, du Bassin de Gouzon, de la Rozeille, de la région d’Ahun, de la Vallée de la Creuse et l’Agglo du Grand Guéret. À six, ils pèsent 51 % de la population de la Creuse.
Et tous sont dans ce centre/nord-est/sud-est de la Creuse où la ressource s’évapore le plus vite quand frappent les sécheresses. Cet été encore, Gouzon a été citernée. Les rivières ont été à sec très tôt dans le Sud et l’Agglo a craint pour la fourniture en eau de Guéret.
« Il y a urgence sur nos territoires qui ne peuvent attendre », souligne Éric Correia, président de l’Agglo.
À l’ouest et dans le Sud, entre le plateau de Millevaches et la vallée du Thaurion, l’eau se raréfie beaucoup moins l’été.

C’est ce second projet qui a été retenu lors de la Commission départementale de coopération intercommunale que la préfète a réunie en décembre. Et qui est en train de se créer. « Vite, très vite », répètent les six présidents des UGE fondatrices.
Un syndicat “supra” (c’est-à-dire coiffant les UGE) qui entend s’étendre des six de départ à tous les autres. Sur la base du volontariat. En sachant qu’en 2026, de toute manière, une autre fusion attend : celle obligeant les UGE à transférer leurs compétences aux intercommunalités. « Notre souci est bien de rester ouvert à tous ceux qui veulent nous rejoindre », insiste Jean-Jacques Bigouret du SIAEP de la Rozeille.
« Individuellement, on peut être compétent dans beaucoup de domaines. Unis, nous le serons sur tous avec la mise en place d’une ingénierie digne de ce nom, décrit Vincent Turpinat (SIAEP de Gouzon). Le tout, c’est d’aller vite, très vite. Car l’urgence est là. On va être aidé par les services de l’État ».
Déjà, la préfète a annoncé que les fonds DETR seraient priorisés vers les projets “eau” dès 2023 : « Sans que ne soit prévu de ne retenir que les projets du syndicat supra », rassure Virginie Darpheuille.

Cent millions d'euros à  jeter à l'eau.
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Le Schéma a évalué, en 2020, que près de 100 millions d’euros étaient nécessaires pour obtenir les premiers résultats. Le “devis” remonte à trois ans, et qui a sûrement explosé depuis. Car les sommes sont vertigineuses quand, pour l’usine d’eau à construire à Ahun, l’estimation est de 7 millions d’euros.
Le syndicat est créé et d’ici le printemps une programmation des chantiers prioritaires sera établie. Même si les urgences sont connues : la sécurisation du bassin d’Ahun, une prise d’eau à créer sur le barrage des Combes sur le sud creusois ainsi qu’une sécurisation de l’alimentation pour l’Agglo du Grand Guéret ainsi que pour le secteur de Gouzon-Boussac… Mais aucun chantier ne pourra être lancé dès cette année.
« On ne rattrapera pas trente ans de retard en quelques mois, prévient Thierry Cotiche (SIAEP d’Ahun), l’été prochain on n’aura pas eu le temps de parer aux plus urgents et les effets du changement climatique sur notre ressource en eau risquent encore de frapper. Les premiers effets de cette politique, c’est d’ici un an et demi. Sur trois ans on sera dans la phase opérationnelle ».

Eric Donzé